Par Nadège Hountinto
En mission au Tchad, la directrice du développement et de la coopération suisse (DDC) a visité le 6 octobre Radio Ndarason. Patricia Danzi voulait rencontrer et discuter avec les journalistes de cette radio soutenue par la DDC. Une visite riche en émotions et instructive pour les deux partenaires.
Tout de suite, Madame Danzi dégage une certaine force. Le port droit, l’ancienne athlète (Patricia Danzi a représenté la Suisse aux Jeux olympiques d’été en 1996) est solide. Elle débarque à Radio Ndarason après une tournée très chargée qui l’a conduite notamment au Bénin, à Adré (la frontière entre le Tchad et le Soudan), et à Ndjamena où elle a été reçue par plusieurs hautes autorités.
Malgré un agenda surchargé, elle a tenu à visiter Radio Ndarason, qui compte parmi ses bailleurs les plus fidèles la coopération suisse.
Visiblement, Patricia Danzi aime le terrain. Voir de ses yeux, poser des questions, comprendre.
Dans la salle de rédaction, alors que le rédacteur en chef entame une présentation du travail de Ndarason, Patricia Danzi l’interrompt gentiment. « Je connais le projet Ndarason, par contre, j’aimerais comprendre… » Et elle enchaîne les questions, directes, concrètes : comment sont choisis les sujets, comment se font les reportages, les traductions entre les différentes langues…
Les rôles sont inversés : c’est elle qui pose les questions. Aux journalistes de répondre. Patricia Danzi, c’est la technocrate des dossiers qui n’oublie pas la réalité des terrains. Et cette simplicité, cette proximité spontanée plait aux journalistes. La rencontre, très formelle à son arrivée, s’est vite décoincée.
Apparemment, la patronne de la DDC a le don de mettre à l’aise ses interlocuteurs.
De la salle des nouvelles, elle va découvrir le service des programmes. Là aussi, une rafale des questions aux producteurs des émissions radiophoniques. Elle veut comprendre le choix des thèmes traités, les défis au quotidien. Mais surtout, elle va lâcher une phrase qui va illuminer les visages des journalistes : « Votre radio me plait, parce qu’elle parle aux gens dans leurs langues, et ça les touche. Si on entend sa langue, on est touché. »
Ndarason émet en Kanuri, Kanembu et Buduma, langues parlées dans la région du Lac Tchad. Mieux, elle souligne le caractère régional de Ndarason : « Ce qui est intéressant aussi chez Ndarason, c’est l’aspect régional. Les frontières ne s’arrêtent pas. Pour beaucoup de populations en Afrique, les frontières ne sont pas les frontières de leur peuple, de leur langue, et vous, vous dépassez les frontières. »
Ndarason en effet travaille dans plusieurs langues avec deux rédactions, au Tchad et au Nigeria, à Maiduguri, où une radio FM va commencer à émettre ce mois. Ndarason, ce sont plusieurs correspondants dans la province du Lac, mais aussi au Cameroun et Niger.
Patricia Danzi va rappeler la « force des langues ». En Suisse, dit-t-elle avec un sourire, « on a beaucoup de langues, mais pas autant qu’au Tchad, mais on connait la force des langues pour rassembler des gens autour d’une région, autour d’un projet et je suis convaincue que vous le faites magnifiquement bien ».
La DDC, d’après elle, est convaincue qu’une radio comme Ndarason joue un grand rôle dans une région qui fait face à de nombreux défis : violences des groupes armés, déplacements des populations, conséquences du dérèglement climatique, etc.« Avec vos programmes radiophoniques sur le vivre-ensemble entre différentes populations, éleveurs, agriculteurs, pécheurs, etc., vous aidez à la compréhension des uns et des autres, vous contribuez beaucoup à la cohésion sociale. »
Patricia Danzi a invité les femmes journalistes de Ndarason à « porter un regard plus accru sur les questions plus féminines. Plus de la moitié de la population du lac est constituée par des femmes, c’est important. Je sais que c’est difficile, mais il faut les pousser à oser. »
Experte en coopération au développement, Patricia Danzi sait très bien que le changement des mentalités n’est pas un travail facile. C’est une œuvre de longue haleine. La DDC est consciente des défis. Et d’expliquer pourquoi la coopération suisse ne veut pas uniquement s’inscrire dans l’aspect « urgence », le court terme pour la crise au Tchad. « Cela fait déjà 60 ans que la coopération suisse apporte son soutien aux Tchadiens et Tchadiennes. Mon regard porte aussi vers les projets à longue durée, des projets de développement. La radio Ndarason s’inscrit totalement dans cette optique ».
Au nom des journalistes et de tout le personnel, Hawa Mahamat Adouma, journaliste en langue Kanembu a remercié la Directrice générale pour cette visite « qui est un signe fort du soutien de la DDC à la radio qui couvre les pays du Bassin du Lac Tchad. »
Hawa Mahamat Adouma a indiqué que le travail de Ndarason « consiste à déconstruire les discours de violence et de haine en utilisant cet outil formidable qu’est la radio. »
Et les journalistes de Ndarason, a dit Hawa Mahamat Adouma, ont une force que ne possède aucun autre média dans la région. « Nous sommes des enfants de cette région ! La plupart nous sommes nés là-bas, nous parlons Kanembu, Kanuri et Buduma, les langues parlées dans le vaste Bassin du Lac Tchad. »
Elle a rappelé que dans son dernier rapport sur l’état de la liberté de la presse au Sahel, l’organisation Reporters Sans Frontières a salué le travail et le courage de radio Ndarason dans une région difficile d’accès. « C’est vrai, c’est une région difficile d’accès, mais pas pour nous. Car dans cette province du Lac, nous sommes chez nous. Nous connaissons les souffrances, les peurs et les espoirs de notre peuple. Les gens nous parlent facilement, nous préviennent des dangers éventuels parce qu’ils ont compris que nous sommes leur porte-parole. »
La journaliste a plaidé pour une poursuite du soutien de la DDC envers Ndarason et, si possible, avec davantage plus de moyens. Le chemin vers la paix est encore long, mais comme dit le proverbe, « avant d’être un baobab, le majestueux arbre est d’abord une petite graine. » a dit la journaliste, surtout qu’avec une radio qui va commencer à émettre en FM à Maiduguri, cela va décupler notre impact. « Des antennes vont être déployées au Cameroun et au Niger. Ndarason est en plein développement. »
Puis, tout le monde a vu la surprise dans les yeux de Patricia Danzi, lorsque la journaliste a annoncé qu’en Afrique, lorsqu’on accueille un hôte de marque, la tradition veut qu’on lui offre un petit présent. « Comme nous émettons en ondes courtes, nous avons pensé vous offrir un petit transistor comme celui qu’utilisent nos nombreux auditeurs dans les régions reculées. »
Elle lui a alors offert, au nom des journalistes, une petite radio sculptée en bois par un artisan de la province du Lac.
« Ainsi, grâce à cette radio, très perfectionnée, depuis Genève vous pourrez suivre nos émissions, car Radio Ndarason signifie « la radio qui vous suit partout a dit la journaliste.
Patricia Danzi ravie a tourné les boutons de la « radio » et tout le monde était plié de rire.
Une visite qui restera dans la mémoire de Ndarason…