Radio Ndarason et le PNUD RSF viennent de publier une importante étude menée dans quatre pays (Tchad, Nigeria, Niger et Nord Cameroun) qui va permettre de mieux connaître les attitudes des populations riveraines du Lac Tchad et des pays environnants. Cette étude vient en appui à la « Stratégie régionale pour la stabilisation, le relèvement et la résilience » des zones touchées par Boko Haram dans le bassin du lac Tchad (RSS). L’objectif global est d’identifier les tendances dans les perceptions des thèmes clés du RSS, y compris la gouvernance, la paix et la sécurité, le désarmement, la démobilisation et la réintégration, et l’inclusion et l’autonomisation des jeunes.
Ce rapport est le fruit d’une collaboration entre Radio Ndarason International et la Facilité Régionale de Stabilisation pour le Lac Tchad du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD RSF). Il analyse les perceptions des personnes vivant dans les régions du bassin du lac Tchad au Cameroun, au Tchad, au Niger et au Nigéria en ce qui concerne les thèmes clés du RSS que sont la gouvernance, la paix et la sécurité, le DDR, l’inclusion et l’autonomisation des jeunes. Les perceptions ont été mesurées à l’aide de deux outils d’enquête, par téléphone et le face à face, ainsi qu’une série de quatre groupes de discussion au Nigeria et au Tchad. Le rapport identifie également comment les personnes interrogées accèdent à l’information et aux nouvelles, et comment différentes sources médiatiques pourraient avoir un impact sur les perceptions de ceux qui vivent dans la région du bassin du lac Tchad.
Méthodologie
L’analyse est basée sur l’examen des données collectées du 1er décembre 2020 au 20 janvier 2021 au Cameroun, au Tchad, au Niger et au Nigeria, et est complétée par des sources de données secondaires. La collecte de données primaires a adopté une méthodologie mixte et a combiné une enquête téléphonique, une enquête en face-à-face et des discussions de groupe. La collecte des données a été réalisée par six équipes de recherche locales et supervisée par les bureaux régionaux de RNI à N’djamena, au Tchad et à Maiduguri, au Nigeria. L’outil d’enquête a été traduit en anglais, français, kanuri, haoussa, kanembu, buduma et arabe. Les deux enquêtes ont été menées à l’aide de tablettes/téléphones intelligents et les données ont été stockées sur le serveur KOBO Collect de RNI.
Résultats
En résumé
- La majorité des personnes interrogées au Niger (67%) et au Nigeria (71%) ont déclaré qu’elles utilisent le Kanuri le plus souvent dans leur vie quotidienne, tandis que 51% des personnes interrogées tchadiennes ont déclaré utiliser le Kanembu. Parmi les répondants à l’enquête au Cameroun, le kanuri est la langue la plus souvent utilisée (41 %).
- La répartition par âge des répondants ne reflète pas les estimations de la population dans la région qui identifient une grande proportion de personnes de moins de 30 ans. Dans l’échantillon, 24 % des répondants au sondage en face-à-face et 13 % des répondants au sondage téléphonique s’identifient comme ayant moins de 25 ans.
- La répartition par sexe révèle que 43 % des répondants au sondage en face-à-face sont des femmes contre 32 % des répondants au sondage téléphonique. Ce résultat indique que les femmes sont peut-être moins susceptibles que les hommes d’avoir les moyens économiques nécessaires pour acheter un téléphone et payer un crédit téléphonique.
Informations et actualités
- La radio est la plate-forme la plus couramment utilisée par les personnes interrogées pour accéder à l’information et au divertissement dans les quatre pays. Moins de la moitié des répondants utilisent les médias sociaux ou Internet dans le même but. Ce résultat indique que les répondants peuvent ne pas savoir lire et écrire et ne pas être en mesure de lire des nouvelles écrites et des services d’information. Cela pourrait également indiquer le coût élevé des smartphones ainsi que le coût élevé et l’accès limité aux réseaux de données mobiles.
- Les personnes interrogées qui n’ont pas écouté les programmes de RNI ont cité comme principales raisons le fait de ne pas posséder de radio et de ne pas comprendre la langue de diffusion. Cela suggère que le principal obstacle à l’accès a RNI parmi les locuteurs du Kanuri, du Kanembu et du Buduma est d’ordre financier.
- Dans les quatre pays, les répondants au sondage sont les plus susceptibles de sélectionner des stations de radio en fonction de la langue. Ainsi, 88 % de ceux qui déclarent écouter RNI utilisent également le Kanuri, le Kanembu ou le Buduma le plus souvent dans leur vie quotidienne.
Gouvernance
- Les préférences pour le règlement des différends varient. Les personnes interrogées au Niger et au Nigeria disent préférer utiliser les dirigeants locaux pour résoudre les différends, tandis que les personnes interrogées au Cameroun et au Tchad sont plus susceptibles de rechercher une résolution par l’intermédiaire d’un membre de la famille.
- Les répondants au sondage au Nigéria sont les moins susceptibles de connaître la MNJTF – probablement en partie parce que les médias nigérians parlent rarement de la MNJTF. Cela suggère le pouvoir des médias dans la conduite de récits en réponse aux conflits.
- Des niveaux élevés de familiarité avec l’ONU et des niveaux élevés de confiance dans les organisations humanitaires impliquent que ces acteurs sont bien adaptés pour s’engager dans des interventions multisectorielles dans la région.
Stabilisation communautaire
- Les participants aux groupes de discussion ont tendance à convenir que l’accès des femmes aux opportunités économiques et politiques augmentent, même si l’accès dépend toujours du soutien des hommes (maris, membres masculins de la famille, etc.)
- Les répondants à l’enquête en face-à-face qui ont entendu des femmes à la radio, sont plus susceptibles d’exprimer des opinions positives sur l’implication et l’autonomisation des femmes dans le renforcement de la communauté. Ce résultat suggère que la lutte contre les inégalités de genre dans les pays LCB ne consiste pas simplement à accroître la participation des femmes, mais à soutenir des structures dans lesquelles les femmes ont le pouvoir de remodeler les systèmes et les récits existants.
- Les personnes interrogées sont les plus susceptibles de penser que leurs besoins les plus urgents sont l’amélioration de la prestation des services de base dans leur région (éducation et soins de santé) plutôt que la protection contre les groupes armés non étatiques ou la violence. Cela indique une croyance parmi les répondants que la violence est autant le résultat de la faiblesse des infrastructures de l’État et de la mauvaise prestation de services qu’elle peut être une cause. Cela peut également indiquer qu’il n’y a aucune attente que l’État fournisse une protection.
- Alors que les répondants de tous les pays et de toutes les tranches d’âge croient que les jeunes veulent s’impliquer dans leurs communautés, ils ont également reconnu qu’il n’y a pas assez d’opportunités économiques ou politiques pour les jeunes de la région.
Paix et sécurité
- Les répondants du Niger et du Nigéria sont les plus susceptibles de penser que leurs communautés ont récemment été touchées par la violence. Les répondants aux enquêtes téléphoniques et en face-à-face du Nigéria sont les moins susceptibles de croire que les femmes et les filles de leur communauté sont en sécurité.
- En général, les répondants à l’enquête sont plus ouverts à l’idée de femmes et d’enfants associés à des groupes armés non gouvernementaux, réintégrant leurs régions d’origine, et moins ouverts à la réintégration d’anciens combattants masculins dans leurs anciennes communautés.
- Alors que de nombreuses études précédentes ont montré que d’anciens membres de groupes armés non gouvernementaux tels que JAS et ISWAP portent la stigmatisation des associations et se sont vu refuser la réintroduction dans leurs communautés, les témoignages des répondants à l’enquête démontrent une ouverture à la réintégration.