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Radio Ndarason Internationale

Culture

Que poussent ces palmeraies !

3 novembre 2023
Temps de lecture : 5 minutes

Par Inès Tamaltan

C’est l’histoire d’un mouvement qui a commencé dans un centre culturel dans une zone rurale très éloignée du Tibesti avec une langue nationale, doucement, sans beaucoup de bruit… Et lentement, mais surement, il est arrivé dans la capitale et désormais implanté au cœur du quartier Klemat à Ndjamena. Il a pour symbole, un palmier.

Le Centre Culturel La Palmeraie est un chantier. Au propre comme au figuré ! Oui, au propre car le centre est en plein travaux. Des ouvriers s’activent depuis janvier 2023, des salles sont en construction.

Le projet est un immense chantier : il veut promouvoir les langues Tudaga, Dazaga et Kanembou, langues parlées sur une partie importante du territoire Tchadien. « Nous voulons préserver et développer ces langues », explique avec calme, mais détermination, Simon Neuhaus qui nous accueille.

Ce Suisse, linguiste et ethnologue de formation, est un passionné des langues. Il est arrivé dans le nord du Tchad il y a une dizaine d’années. « J’étais venu en touriste au Sahara avec mon épouse ». Mais apparemment, le touriste a pris racine. C’est en Djellaba qu’il nous fait visiter « La Palmeraie ».

Première salle. On se déchausse. Ici un groupe d’une dizaine de personnes suit un cours de Dazaga avec Galmaï, très élégant dans son boubou. Dans la salle sont exposés plusieurs ouvrages en Tudaga, Dazaga et Kanembou. « Ici, c’est un point de consultation et de vente pour les publications dans ces langues ainsi qu’une petite bibliothèque spécialisée pour ces langues et cultures. Aussi, les locuteurs de ces langues y trouvent du soutien pour apprendre à lire et écrire dans leur langue », explique Simon Neuhaus.

Galmaï en train d’enseigner le Dazaga ( Photo I. Tamaltan)

Haoua Adouma, journaliste en langue Kanembou à la radio Ndarason est émue de découvrir ce centre culturel, de voir tant de livres dans sa langue, à Ndjamena. « C’est extraordinaire, je suis heureuse de découvrir tout cela ». Simon Neuheus lui passe un guide pour « Apprendre à lire et à écrire le Kanembou ». La journaliste feuillette le livre avec émotion. « C’est très bien, très bien », répète-t-elle.

« La langue maternelle, c’est votre identité, c’est important », dit Simon Neuhaus. Et son collègue, Abakar Maïna, d’enchaîner « A Ndjamena, vous pouvez trouver des enfants de père et de mère Kanembou, mais qui ne parlent pas cette langue supplantée par d’autres langues, c’est triste. »

Alors qu’en Afrique souvent les parents poussent leurs enfants à parler français ou anglais, parce que cela fait « chic », Simon Neuhaus et ses collègues ont une autre conviction, renforcée par toutes les études linguistiques : il faut d’abord renforcer chez l’enfant la langue maternelle. Une fois que l’enfant maîtrise sa langue maternelle, il sera plus à l’aise pour apprendre une autre langue. « C’est une révolution que vous êtes en train de faire-là », dit-on à Simon Neuhaus. « C’est une révolution pacifique en tout cas », répond-il avec sourire. « C’est important de développer les langues nationales », insiste-t-il. Le projet du Centre Culturel La Palmeraie est d’ailleurs salué par le gouvernement tchadien.

Dans une autre salle, les apprenants ne semblent pas gênés par les bruits de marteaux. Dans cette salle, Maria Bachmann, donne une formation aux futurs formateurs.

Depuis octobre 2023, 4 enseignantes sont formés pour enseigner en Dazaga à Gouro, 2 enseignants sont formés pour enseigner le français oral, comme langue étrangère

Simon Neuhaus et ses amis souhaitent faire pousser d’autres « palmeraies » au Tchad et le centre bouillonne d’activités. Le centre compte être la base pour promouvoir l’enseignement en ces langues nationales dans les régions. « Nous espérons augmenter le nombre de livres et vidéos publiés dans ces langues. »

Le Centre vise une utilisation « active, créative et productive des langues, notamment en écrivant ». Des concours d’écriture sont organisés pour inciter les jeunes à écrire et les meilleurs textes sont édités. Le catalogue des ouvrages produits est déjà impressionnant.

Le Centre a déjà produit plusieurs ouvrages dans les trois langues et organise des concours pour inciter les jeunes à écrire ( Photo I. Tamaltan)

« A quoi ça sert d’apprendre un alphabet si on ne peut pas trouver des livres à lire », explique Simon Neuhaus. Il a raison.

Et l’apprentissage des langues mène à un projet encore plus essentiel : la cohabitation apaisée entre les différentes communautés au Tchad qui n’a pas toujours été paisible.

Au Centre Culturel La Palmeraie, les trois communautés de langue Tudaga, Dazaga et Kanembou sont maintenant unies dans leur intérêt d’apprendre leur alphabet, mais elles veulent créer un lieu permanent où elles peuvent travailler ensemble pour promouvoir leurs langues.

A la fin de la visite, dans la pure tradition du désert, Simon Neuhaus nous invite à partager un thé. Une tradition séculaire. Puis, il allume un IPAD et nous montre « un clavier virtuel » qui, explique-t-il, permet d’écrire « les signes diacritiques dans sa langues. » La Palmeraie, c’est aussi une alliance de la tradition et la technologie…

Que dire de plus à cette équipe formidable et accueillante ? Que poussent encore d’autres palmeraies ! Entretemps, allez visiter cette palmeraie à Klemat, vous allez aimer !

À propos de l’auteur

Tamaltan Inès Sikngaye