La Radio Ndarason Internationale a reçu le week-end dernier l’expert national tchadien en résolution des conflits et prévention de l’extrémisme violent dans le cadre de la commémoration de la Journée internationale de résolution des conflits. Avec Baniara Yoyana, Mahamat Ali Mouta a sur voler les questions relatives aux différents conflits latents ou ouverts au Tchad et les moyens de les résoudre ou prévenir.
Nous vous proposons ici la transcription de cette interview.
Mahamat Ali Mouta : Bonjour, Baniara Yoyana.
Baniara Yoyana: Bonjour, Mahamat Ali Mouta.
Mahamat Ali Mouta : Quels sont les différents types de conflits ouverts et non-ouverts au Tchad et dans le Bassin du Lac Tchad ?
Baniara Yoyana: On ne peut pas parler de conflits ouverts ou non ouverts dans le bassin du Lac Tchad ou au Tchad. Il s’agit d’une situation imposée par un groupe de personnes qui défend des intérêts religieux. Mais, au lieu de le faire de manière pacifique, ils le font avec des armes. Et vous n’êtes pas sans ignorer que les armes détruisent. Ces confits qui nous gouvernent ne concernent non seulement les Etats en tant que protagonistes, mais aussi comme acteurs engagés dans une lutte contre un groupe de rebelles ou des gens qui ne respectent pas l‘ordre national, social et mondial établi par les différentes conventions qui régulent la vie en société. Et donc le Tchad, à l’instar des autres pays du bassin du Lac Tchad, subit une situation imposée par un groupe d’individus.
Mahamat Ali Mouta : Quelles sont les causes des conflits ?
Les causes peuvent être d’ordre social, économique et confessionnel. Mais si c’est un combat d’ordre confessionnel pour changer l’ordre social des choses, je comprends mal pourquoi, ces individus s’en prennent aux religieux et gens de leur confession. Comment peuvent-ils défendre une idéologie religieuse en détruisant les symboles de l’Islam en allant notamment dans les mosquées assassiner et tuer les représentants des mosquées que sont les imams. Moi, je pense que cette cause dite religieuse n’est pas fondée. Ces personnes ne connaissent pas Dieu. Et s’ils le connaissent, ils le connaissent peut être très mal. Je le dis parce qu’ils s’en prennent au symbole de Dieu. Ils tuent l’Homme qui est le premier symbole de Dieu. Pourtant, Dieu a dit que la vie de l’Homme est sacrée. S’ils estiment être des religieux pourquoi tuent-ils impunément les femmes, jeunes et enfants sans distinction ?
Alors parler d’une cause religieuse me parait difficile à défendre
Mahamat Ali Mouta : Hormis le problème Boko Haram dans le bassin du Lac Tchad, le Tchad fait régulièrement face à un autre type de conflits notamment le problème agriculteurs-éleveurs ?
Baniara Yoyana: Oui, le conflit agriculteurs-éleveurs est un confit classique et la défense des terres est une guerre qui remonte à des millénaires. C’est le cas que nous connaissons dans certains pays d’Afriques, notamment le Tchad. Le non-respect du couloir de transhumance est la première raison qui justifie ces conflits. La seconde, celui du changement climatique.
En effet, nous assistons à une raréfaction d’eaux et de pâturages dans la partie septentrionale qui oblige les éleveurs à se sédentariser. Il faut également souligner qu’avec l’évolution de notre administration, certaines autorités politiques et militaires travaillent comme administrateurs, mais sont également propriétaires de bétails qu’ils confient à des éleveurs. Et lorsque ces bétails font des dégâts, on fait généralement recours aux préfets, sous-préfets ou aux commandants des brigades à qui appartiennent les bétails. C’est pourquoi chaque fois, que les victimes des dégâts champêtres viennent se plaindre, ils n’ont jamais gain de causes. Cette information, je le détiens des éleveurs eux mêmes qui m’ont fait comprendre qu’ils ne sont pas propriétaires, mais que de simples employés.
Mahamat Ali Mouta : Quelles sont les actions qui peuvent être prise en vue de pallier aux problèmes agriculteurs-éleveurs ?
Baniara Yoyana: Pour moi, les actions pour solutionner ce conflit se situent à deux niveaux. En premier lieu, l’Etat doit faire une nouvelle carte du couloir de transhumance parce que l’actuel couloir remonte à 1956, donc, avant l’indépendance pour ne pas dire au temps de la colonisation. En cette période, le Tchad ne comptait pas plus d’un million d’habitants. Mais aujourd’hui, nous sommes à plus de 12 millions. Et donc, l’espace utilisé par 13 millions de personnes, n’a pas les mêmes conséquences que celui utilisé par 12 millions ou 13 millions de personnes. Donc la première solution, doit consister en la reconfiguration des couloirs de transhumance et, au besoin, savoir ceux qui occupent ces espaces.
Mais, je pense que ce tracé va être difficile, à moins que cela se fasse de région en région. Mais si nous le faisons sur le plan national du Nord au Sud et du Sud au Nord cela me parait très difficile parce qu’il y a une augmentation de la population et une très importante occupation de l’espace.
Ensuite, les intéressés doivent au moment de grandes activités de cultures, s’entendre pour empêcher que les bêtes aillent détruire les champs. Ils peuvent constituer des comités de réflexion de gestion de l‘espaces mais également de gestions des conflits pour qu’en cas de violation des règles établies par ce comité, des mesures punitives soient prisent. Ce comité ne doit être composé que de représentants des éleveurs mais également ceux des paysans. Cette organisation doit travailler de manière impartiale de façon à ce que l’organisation parvienne à prévenir les conflits plutôt que de passer le temps à gérer les conflits. La prévention vaut mieux que le règlement. Il vaut mieux qu’il y ait un mauvais arrangement qu’un bon procès. Donc pour éviter les procès, il faut mettre comme élément essentiel de gestion de conflits, la prévention.
Mahamat Ali Mouta : Comment peut-on prévenir les conflits et qui sont les premiers acteurs ?
Baniara Yoyana : La prévention relève des représentants de l’administration nationale. Ils doivent faire prendre conscience aux éleveurs et agriculteurs que l’instauration de la paix et la cohabitation pacifique passe par l’entente entre les deux groupes. Cela va leur permettre de défendre leurs intérêts parce que l’éleveur a toujours besoin de son bétail et le paysan a besoin de produire au champ pour son alimentation, mais également pour ces besoin économiques. Il faut également une certaine sensibilisation à tous les niveaux pour que chacun prenne conscience de l’importance et de la nécessité de vivre ensemble. Pour cela, les leaders d’opinions c’est-à-dire les responsables religieux ont un très grand rôle à jouer dans la résolution de ces conflits. Je le dis parce que le plus souvent dans ce genre de conflit, on ne voit pas l‘éleveur, ni le paysan mais le ‘’musulman’’ et non ‘’musulman’’. Il faut donc une bonne sensibilisation pour une prise de conscience générale.
Mahamat Ali Mouta : Quel sont les impacts des différents conflits sur la vie socio-économique ?
Baniara Yoyana : Les conflits armés sont très désastreux car ils détruisent l’homme qui est une ressource capitale pour la production et le développement socio-économique. Il met l’environnement humain dans des conditions très critiques avec des conséquences sur la santé et l’éducation. Quand il y a la guerre, il y a des maladies vu que les structures ne fonctionnent plus normalement, les écoles sont fermées parce que les enseignants qui ne sont pas forcément du milieu ou se déclenche la guerre sont obligés de se mettre à l‘abris, soit dans les grands centres, soit en rentrant chez eux. Ce qu’il faut savoir ensuite, c’est que la guère remet en cause le développement dans sa globalité. Le minium de ressources que dispose un Etat est orienté vers La défense au détriment du développement. Cette situation de guerre mettre également en difficulté. Des qu’il y a des bruits de bottes, les investisseurs s’écartent avant d’y revenir. Les conséquences sont donc énormes.
Mahamat Ali Mouta : Qu’avez-vous à dire à la population ?
La population doit comprendre que nous sommes issus de différentes cultures et de différentes mentalités. Nous ne devons pas considérer ces différences comme un obstacle ou une barrière, mais comme quelque chose de positif. Nos différences doivent se conjuguer en termes de complémentarité et non en termes d’opposition.
Et le plus important est qu’il ait dialogue pour que les gens s’accordent sur les problèmes latent avant même qu’ils ne s’amplifient et prennent une autre dimensiion. Qu’il ait donc dialogue pour favoriser l‘entente et la compréhension.
Mahamat Ali Mouta : Merci Monsieur Baniara Yoyana.
Baniara Yoyana : Merci Mahamat Ali Mouta