Entre difficultés d’accès aux bureaux de vote, la non-prise en compte des besoins spécifiques dans les programmes des candidats ou encore leur participation timide au débat électoral notamment dans la presse, les personnes non-voyantes sont loin d’être une couche vedette de la démocratie tchadienne. Rien qu’à N’Djamena, d’après les données du Réseau des non-voyants du Tchad – RENOV, ils sont plus de 2 500 déficients visuels et non-voyants.
Youssouf Ali Abakar, 26 ans, est aveugle. Il sait qu’il n’existe pas de programmes ni de bulletins de vote en braille, mais il a insisté pour se rendre aux urnes le 29 décembre dernier. Ce jour-là, dans un traditionnel boubou beige, lunette de soleil sombre, guidé par son cousin, Youssouf a exercé son devoir civique à Diguel, dans le 8ème arrondissement de N’Djamena.
« Je suis un non voyant et ma voix compte comme celle de tout autre citoyen de ce pays », a dit Youssouf, avant d’ajouter : « les conditions ne sont pas réunies pour nous, mais tant que l’on vit, nous devons choisir nos candidats qui peuvent nous représenter dans les communes, à la mairie et à l’Assemblée nationale ». D’après lui, ce n’est que de cette façon que les pouvoirs publics finiront par penser à inclure les mal et non-voyants dans le processus électoral. Et de poursuivre : « nous devons montrer le bon exemple aux plus jeunes mal et non-voyants, car personne ne viendra le faire à notre place. C’est à nous de prendre cette responsabilité », lance le vaillant Youssouf, électricien, menuisier, journaliste et artiste chanteur à la fois.
Chez beaucoup de mal et non-voyants, seules les idées et les valeurs comptent. Mais tous insistent sur les difficultés auxquelles ils sont confrontés lorsqu’ils doivent accomplir leur devoir de citoyen. C’est le cas de Remadji Charlotte, une non-voyante rencontrée dans les bureaux de vote installés à Moursal dans le 6ème arrondissement de N’Djamena. « Ma petite sœur m’a accompagnée dans l’isoloir. Elle m’a lu les différents noms des candidats et m’a aidé à faire mon choix. Ensuite je me suis débrouillée pour glisser mon bulletin dans les différentes urnes ». « Mais comment vais-je faire le jour où ma petite sœur ne sera pas là ? S’interroge Remadji qui vote pour la première fois et qui confie avoir dû s’imposer face au président du bureau de vote afin qu’on accepte son guide. « Et en termes de secret de vote, ce n’est pas optimum », regrette cette jeune non-voyante titulaire d’une licence en sociologie du développement.
Accessibilité pour tous ? Pas encore au Tchad
Les élections sont des moments où chaque citoyen doit se sentir concerné. Compte tenu de leur spécificité, il faudrait amener les personnes non-voyantes à déchiffrer les programmes des candidats et à être prises en compte lors des élections. Car, comme beaucoup de personnes en situation de handicap, les déficients visuels se sentent exclus des processus électoraux.
« Que ce soit les élections présidentielles ou législatives, communales et provinciales, nous ne sommes impliqués ni de près ni de loin par l’Agence nationale de gestion des élections », regrette Youssouf Azzalo, non-voyant et aussi président du Réseau des non-voyants du Tchad – RENOV. D’après lui, RENOV a formulé des demandes et des recommandations à l’attention de l’ANGE concernant la prise en compte des non-voyants dans le processus électoral, mais selon lui, il n’y a pas eu de suite. « Aucune sensibilisation ou formation sur le processus électoral pouvant nous permettre de voter normalement n’a été faite. Nous sommes systématiquement exclus des élections et à tous les niveaux », s’est plaint Youssouf Azzalo.
Revenant sur les élections législatives, provinciales et communales du 29 décembre dernier, le président du Réseau des non-voyants du Tchad a souligné que certains non-voyants ont été confrontés à des présidents des bureaux de vote très réticents qui n’ont pas voulu accepter que ces derniers soient accompagnés de leur guide. Et ce n’est pas tout. D’après le rapport des guides du RENOV, « certains mal ou non-voyants sont obligés de rester dans le rang dans certains bureaux de vote pour attendre leur tour afin d’accomplir leur devoir civique ». Face à ce traitement, le Réseau des non-voyants du Tchad plaide pour un changement quant à l’implication des mal et non-voyants dans le processus électoral.
Bien que le Tchad ait adopté la loi N°007/PR/2007 pour protéger les personnes en situation de handicap et garantir leur égalité de chance et de traitement, il reste encore du chemin à faire pour l’égalité des droits.
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